Ma vision du monde inclut l’ensemble des connaissances des sciences naturelles, dont la véracité et la vérifiabilité font l’objet d’un large consensus au sein de la communauté scientifique.
Cependant, de nombreux phénomènes importants de la vie, en particulier de la vie humaine, ne peuvent être expliqués par des méthodes scientifiques et font l’objet d’intuitions et d’hypothèses philosophiques et psychologiques qui sont impossibles à vérifier objectivement, car elles ne sont pas (encore) mesurables.
En fait, dans ce que l’on appelle les “sciences humaines et sociales”, il n’y a pas de large consensus entre les chercheurs ; au contraire, il existe de nombreuse théories et narrations différentes, parfois incompatibles les unes avec les autres. Par conséquent, chacun choisit les “explications” qui lui semblent les plus plausibles et les plus cohérentes avec ses propres croyances, expériences, formation et personnalité.
Pour ma part, j’ai construit ma vision du monde en m’inspirant de la pensée de divers scientifiques et philosophes, à laquelle j’ai ajouté certaines de mes propres intuitions et hypothèses, tout en étant conscient du fait que des lacunes, des erreurs et de grands mystères subsistent dans une telle vision.
À mon avis, le mystère le plus grand et le plus important pour un être humain est sa propre conscience, que je divise en trois parties : (1) cognitive, (2) émotionnelle et (3) volitive. De ces trois parties, la plus importante est la partie émotionnelle, c’est-à-dire la capacité d’éprouver du plaisir et de la douleur, pour des causes à la fois physiques et mentales, ces dernières étant des anticipations d’états futurs plus ou moins plaisants ou douloureux.
Sans la capacité émotionnelle, la conscience n’aurait aucune raison d’être et ne pourrait pas fonctionner. Imaginez en effet que vous n’ayez pas (dès la naissance) la capacité de jouir et de souffrir, et que par conséquent tout vous soit émotionnellement indifférent : vous n’auriez ni peur, ni désir, ni frustration, ni motivation, ni critère de choix, ni orientation, ni contrainte morale. Vous ne survivriez pas, ou vous survivriez comme un végétal (je suppose que les végétaux n’ont pas de conscience).
Encore aujourd’hui, personne ne sait comment est faite la conscience, ni où elle se situe (dans le corps ou en dehors ?), ni quand, ni comment elle est apparue au cours de l’évolution de notre espèce (en supposant que toutes les espèces n’en sont pas dotées).
Cependant, nous en savons beaucoup sur la relation entre les parties de la conscience et le reste du corps et du monde. En effet, nous savons comment la modifier, comment la manipuler, comment l’hypnotiser, comment l’anesthésier, nous savons que certaines situations provoquent du plaisir ou de la douleur, nous savons comment augmenter la cognition, nous savons comment motiver ou démotiver les gens, etc.
Nous savons aussi que la mémoire joue un rôle important dans la conscience, étant à la fois cause, objet et trace des pensées et des perceptions conscientes.
En d’autres termes, nous ne savons pas ce qu’est la conscience elle-même, mais nous savons beaucoup de choses sur les interactions entre ses parties, et entre celles-ci et le reste du corps et du monde qui l’entoure.
Le fait que nous ne puissions pas connaître une chose en soi, mais que nous puissions connaître ses interactions avec d’autres choses, s’applique non seulement à la conscience, mais à toute chose (objet, personne, idée, forme, etc.) dont nous pouvons faire l’expérience directement ou indirectement.
En effet, l’essence de toute chose peut être décrite comme l’ensemble de ses caractéristiques propres, qui ne sont rien d’autre que la manière dont elle interagit avec ses observateurs et avec d’autres choses. En ce sens, il serait utile de remplacer le verbe “être” par d’autres verbes indiquant des “interactions avec d’autres choses”. En d’autres termes, je pense que le monde serait beaucoup plus compréhensible si nous évitions d’utiliser le verbe “être”.
D’autre part, dire que “A est B” revient à dire que “A = B”, c’est-à-dire à dire que A est toujours égal à B, ce qui est le plus souvent faux. Il faut plutôt dire que A ne ressemble à B que dans une certaine mesure, sous certains aspects et dans certaines situations. En d’autres termes, nous ne devrions jamais faire d’affirmations absolues, mais seulement des affirmations relatives, c’est-à-dire relatives à d’autres termes et conditionnées par certaines situations.
Si nous voulons connaître une chose autonome du point de vue de ses interactions avec d’autres choses, nous devons nous demander comment la prise de décision a lieu dans cette chose par rapport à ses interactions avec le reste du monde.
Dans le cas d’une chose autonome non vivante, telle qu’une horloge mécanique, la logique de son comportement est inhérente à sa structure physique, c’est-à-dire à l’architecture de ses engrenages, de ses leviers et des connexions physiques entre ses parties.
Dans le cas d’un être vivant, la logique du comportement repose sur la reproduction, la collecte et le traitement de l’information, tant en ce qui concerne la formation de l’organisme à partir de l’embryon (l’ADN est constitué d’informations qui servent d’instructions pour la construction et le développement des différents organes du corps), qu’en ce qui concerne le comportement interactif de l’organisme en son sein et vis-à-vis du reste du monde, à tous les niveaux, à commencer par celui des cellules.
En effet, on peut supposer que le comportement d’une cellule à l’égard des cellules et des autres objets ou substances avec lesquels elle interagit dépend des informations qu’elles échangent automatiquement, analysées selon certains programmes stockés en leur sein.
Si l’on entend par ” mental ” un système de gestion de l’information (conscient ou inconscient), on peut dire que chaque cellule a son propre ” mental ” (vraisemblablement inconscient) qui régule et détermine son comportement. Il devrait en être de même pour les systèmes de cellules, c’est-à-dire les organes, jusqu’au niveau le plus élevé, celui de l’organisme.
L’information contenue dans l’ADN et dans la mémoire des êtres vivants, aux différents niveaux d’agrégation cellulaire, est “motivée” et “motivante” en ce sens qu’elle vise la survie et la reproduction, c’est-à-dire qu’elle sert à satisfaire le besoin des gènes de se reproduire, chaque espèce vivante constituant une stratégie différente de reproduction de ses gènes. En effet, si les gènes n’avaient pas besoin de se reproduire, ils ne le feraient pas et il n’y aurait pas de vie sur notre planète. Et le fait que les mutations génétiques soient aléatoires ne signifie pas que toute mutation soit compatible avec la reproduction des gènes concernés. En effet, de nombreuses mutations aboutissent à la mort ou à la non-naissance de l’individu.
Dans le cadre de la reproduction des gènes, le plaisir et la douleur, qui constituent l’aspect fondamental de la conscience, sont respectivement les récompenses positives et négatives du comportement de l’organisme. En d’autres termes, le plaisir peut être considéré comme le signal et la mesure de la satisfaction d’un besoin, la douleur comme le signal et la mesure de sa frustration. En d’autres termes, grâce aux leviers du plaisir et de la douleur, la nature nous oblige à nous comporter de manière à préserver notre espèce.
L’être humain est motivé par une série de besoins biologiques et sociaux, dont la satisfaction est indispensable à la survie de l’individu et de l’espèce. Les besoins biologiques sont similaires à ceux des autres mammifères. Les besoins sociaux que j’ai identifiés sont les suivants :
- le besoin d’intégration sociale (coopération, communauté, appartenance, partage, interaction, communication, imitation)
- le besoin de liberté
- le besoin de domination, de compétition
- le besoin de connaissance
- le besoin de beauté, d’ordre
- le besoin de cohérence cognitive, c’est-à-dire de non-contradiction entre les notions apprises
Les satisfaire tous est difficile, voire impossible, car ils conduisent souvent à des comportements antithétiques, dans le sens où la satisfaction d’un besoin peut entraîner le renoncement à la satisfaction d’un autre. De plus, la satisfaction d’un besoin pour un individu peut entraîner la frustration d’un besoin pour un autre.
En ce sens, la sagesse consiste, selon moi, en la capacité de satisfaire suffisamment et durablement le plus grand nombre possible de besoins innés, et de renoncer à satisfaire des besoins socialement induits s’ils s’avèrent inutiles ou nuisibles à court ou à long terme.
Pour devenir sage, il faut donc apprendre à connaître et à reconnaître les besoins humains et les stratégies possibles (plus ou moins efficaces et efficientes) pour les satisfaire.
En ce sens, la personnalité d’un individu peut être définie comme son aptitude à satisfaire ses besoins et ceux des autres, c’est-à-dire ses stratégies de satisfaction, ainsi que la force ou l’urgence relative de chacun des différents besoins, qui diffère d’une personne à l’autre.
Dans cette vision du monde qui est la mienne, la morale, nécessaire du fait de notre interdépendance, consiste à se procurer et à procurer aux autres le plus de plaisir et le moins de douleur possible, à un coût soutenable à court et à long terme.
En ce qui concerne l’esthétique, je dirais que le beau est ce qui procure du plaisir, et le laid ce qui procure de la douleur, de manière subjective.
Un principe qui sous-tend ma vision du monde est que tout phénomène se produit (1) par hasard, ou (2) par une loi physique, ou (3) par une logique (entendue comme un programme, un algorithme ou un code de comportement), ou (4) par un mélange de ces causes.
Quant aux causes dites “spirituelles” (c’est-à-dire immatérielles et non dépendantes de la matière), je ne peux pas prouver qu’elles n’existent pas, mais je suppose qu’elles ne sont pas démontrables, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être distinguées des fantaisies ou des hallucinations.
En fait, à mon avis, le spiritualisme (sous forme d’idéalisme, d’ésotérisme, de mysticisme, d’intuitionnisme, de magie, de religions, etc.) rejette le matérialisme parce qu’il croit à tort que celui-ci ne peut pas prendre en compte les informations et les émotions qui animent les êtres vivants, tandis que le concept d’«esprit» est utilisé par beaucoup comme une prétendue cause et/ou fin des phénomènes humains qu’ils ne peuvent pas expliquer autrement, et pour nier notre finitude (à laquelle je crois). D’autre part, la métaphysique, ou science du spirituel, étant par sa définition “au-delà de la physique” et n’étant ni mesurable, ni vérifiable, ni falsifiable, est un refuge sûr pour ceux qui souhaitent mettre leur vision du monde à l’abri de toute critique rationnelle.
L’information, élément fondamental et central de la vie, est immatérielle, même si elle a besoin de matière et/ou d’énergie pour être stockée, traitée et transmise, et peut avoir des effets matériels, c’est-à-dire provoquer des changements physiques à l’intérieur et à l’extérieur du corps. Immatérielle, mais capable d’agir sur la matière, on peut dire que l’information (consciente ou inconsciente), quel que soit le support physique sur lequel elle est inscrite, est quelque chose de spirituel.
Comme l’a écrit Gregory Bateson, “l’information est toute différence qui fait une différence”. Si vous voulez comprendre le sens des interactions entre les humains et les problèmes psychiques qui y sont associés, essayez d’imaginer les informations que les esprits impliqués (conscients et inconscients) traitent pour déterminer les interactions elles-mêmes.