L’amour pour José Ortega y Gasset

L’amour pour José Ortega y Gasset

“Il n’y a rien de si fécond dans notre vie intime que le sentiment amoureux ; au point qu’il en vient à être le symbole de toute fécondité. De l’amour, bien des choses naissent ainsi dans le sujet : des désirs, des pensées, des volitions, des actes ; mais tout ce qui naît de l’amour, comme le fruit d’une semence, n’est pas l’amour lui-même, tout cela présuppose bien plutôt l’existence de l’amour.

Ce que nous aimons, bien évidemment, nous le désirons aussi en un certain sens, d’une certaine manière ; mais, en revanche, il est notoire que nous désirons bien des choses que nous n’aimons pas, à l’égard desquelles nous sommes indifférents sur le plan sentimental. Désirer un bon vin n’est pas l’aimer ; le morphinomane désire la drogue en même temps qu’il la hait pour son action nocive.

Mais il y a une autre raison, plus rigoureuse et plus fine, de séparer amour et désir. Le désir de quelque chose, c’est en définitive la tendance à la possession de ce quelque chose ; possession signifie alors, d’une manière ou d’une autre, que l’objet entre dans notre orbite et vient en quelque sorte faire partie de nous.

Aussi le désir meurt-il automatiquement quand on obtient la possession ; il s’épuise en se satisfaisant. L’amour en revanche est un éternel insatisfait. Le désir a un caractère passif et, en toute rigueur, ce que je désire quand je désire, c’est que l’objet vienne à moi. Je suis un centre de gravitation, où j’attends que les choses viennent tomber. Au contraire, dans l’amour tout est activité […].

L’amour ne consiste pas en ce que l’objet vienne à moi ; c’est moi qui vais à l’objet et qui suis en lui. Dans l’acte amoureux, la personne sort d’elle-même : c’est peut-être le plus grand essai que la Nature fasse pour que chacun sorte de soi-même vers autre chose. Ce n’est pas elle qui gravite vers moi, c’est moi qui gravite vers elle.”

José Ortega y Gasset, Études sur l’amour, 1926, tr. C. Pierre, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2004, p. 31-32.

https://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=433

 

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